L’économie circulaire suscite de plus en plus l’intérêt des acteurs économiques. Les entreprises y voient un formidable levier pour concilier leurs enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Et pour cause, ce modèle permet de préserver les ressources naturelles et de réduire l’impact environnemental, tout en réalisant des économies intelligentes. Dans cette dynamique, les directions achats ont un rôle majeur à jouer pour intégrer les principes de l’économie circulaire dans leurs pratiques. Toutefois, elles font face à des défis de taille dans leur mise en œuvre effective, car cela reste un marché émergent. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit, Directeur de l’Économie Circulaire du groupe Manutan, apporte son éclairage sur les défis de l’économie circulaire pour les équipes achats.
Les défis de l’économie circulaire : la disponibilité de l’offre circulaire
Aujourd’hui, l’économie linéaire est prédominante. Autrement dit, le marché de produits neufs peut être considéré comme mature. L’offre est abondante et bien structurée, faisant l’objet d’une intense concurrence. Dès lors, les directions achats ont l’embarras du choix pour sélectionner leurs fournisseurs, déterminer leur cahier des charges et, in fine, acheter les produits qui répondent aux besoins de leur entreprise.
Il en est tout autrement pour l’économie circulaire. « À ce jour, l’économie mondiale n’est circulaire qu’à hauteur de 7,2 % d’après le dernier rapport sur l’écart de circularité, publié par Circle Economy. Cela représente ainsi une part infime de matériaux qui passent par une phase de réemploi ou de recyclage, après leur première utilisation. » rappelle Pierre-Emmanuel Saint-Esprit. D’autant que ce chiffre est en baisse constante depuis bientôt cinq ans.
D’un point de vue achats, cela signifie que l’offre circulaire reste peu développée. Qu’il s’agisse de matières premières ou de produits finis, il peut être moins aisé de trouver une option circulaire sur le marché. Dans certains cas, certaines filières n’existent pas encore. Dans d’autres, elles sont opérationnelles, mais produisent des quantités limitées. Cela peut alors freiner les entreprises qui ont besoin d’acheter du volume.
Face à cette problématique, les directions achats doivent déployer tout leur talent pour explorer le marché, identifier des partenaires potentiels et les challenger sur leurs offres. Pour concrétiser leur démarche, elles ont également tout intérêt à adopter la stratégie des petits pas. Cela passe par la définition d’objectifs réalistes, ainsi que la mise en œuvre d’actions simples. Par exemple, lors d’un projet d’aménagement, elles peuvent fixer des critères circulaires pour une partie des produits qu’elles souhaitent acheter, quitte à mixer offre neuve et circulaire.
Les défis de l’économie circulaire : la qualité de l’offre circulaire
En optant pour l’économie circulaire, les directions achats sont également confrontées au sujet de la qualité. C’est tout particulièrement le cas lorsqu’elles achètent des produits reconditionnés, par exemple.
Rappelons qu’un produit reconditionné est entièrement fonctionnel, car testé, remis en état et réemballé par un professionnel. Il s’accompagne généralement d’une fiche produit détaillée, d’une garantie de durée, d’un service après-vente, d’un chiffrage de l’impact positif de la démarche, etc. Petit à petit, un cadre légal commence à se dessiner autour du marché du reconditionné et des initiatives voient le jour. C’est le cas, par exemple, du label RECQ (Reconditionnement de qualité) qui contrôle la qualité de certaines typologies de produits reconditionnés. Toutefois, il n’existe pas encore de certifications reconnues officiellement pour tous les produits reconditionnés.
Pour s’assurer de la qualité des produits, les acheteurs doivent donc s’adresser à des reconditionneurs de confiance. Il peut s’agir de deux types d’acteurs : des pure players faisant référence sur le marché ou des entreprises reconnues qui développent leur propre offre circulaire. Il faut prêter attention à la documentation des produits qui précise l’état d’usage et liste les fonctionnalités ayant été réparées et/ou testées.
Pierre-Emmanuel Saint-Esprit souligne : « Pour aller encore plus loin, l’équipe achats peut même aller visiter le centre de réemploi de son partenaire. C’est en se rendant sur le terrain, en rencontrant les opérateurs et en observant les processus, qu’elle peut ainsi s’assurer de la fiabilité des opérations. »
Les défis de l’économie circulaire : la satisfaction des clients internes
Quand une direction achats s’oriente vers l’économie circulaire, elle doit également garantir la satisfaction des clients internes. C’est d’ailleurs un sujet intrinsèquement lié à la qualité des produits, que cela concerne le volet efficacité ou esthétique. Pour y parvenir, les directions achats doivent accompagner le changement. Il s’agit d’informer, de sensibiliser et d’éduquer les clients internes quant aux achats circulaires.
Tout d’abord, cela repose sur la collaboration. Les acheteurs doivent travailler main dans la main avec les métiers pour coconstruire le cahier des charges, les challenger sur l’intégration de critères circulaires et faire coïncider leurs objectifs respectifs. Et cela, en amont de tout projet d’achat.
Ensuite, il est important de légitimer la démarche. Pour cela, il faut pouvoir évaluer les impacts et communiquer sur tous les avantages que cela représente. L’idée est de montrer comment l’économie circulaire vient s’inscrire dans la stratégie et la feuille de route RSE de son entreprise, avec des chiffres à l’appui. On peut, par exemple, mettre en lumière les économies financières réalisées, la quantité de matières premières qui a été sauvée, les émissions de gaz à effet de serre qui ont été réduites, etc. Pierre-Emmanuel Saint-Esprit ajoute : « Cela implique que le fournisseur soit en mesure de partager ces données, puis que les acheteurs les mettent en perspective et les rendent tangibles. Il peut être intéressant de convertir les émissions carbone dans une mesure que tout le monde comprend, comme un aller-retour Paris-New York qui correspond à 1 tonne d’équivalent CO2, par exemple. »
Les défis de l’économie circulaire : la conformité réglementaire
Enfin, l’ultime défi de l’économie circulaire à relever pour les entreprises qui souhaitent intégrer ce modèle économique dans leurs pratiques d’achats est la mise en conformité. En effet, les réglementations en faveur de l’économie circulaire se multiplient dans le monde entier. Si les premiers efforts ont été entrepris par le Japon dans les années 1990, l’Union européenne et ses États membres participent activement à cette dynamique qui est désormais mondiale. Aujourd’hui, les réglementations concernent le fait de limiter la consommation des ressources, mais aussi d’améliorer l’efficacité des ressources, la gestion des déchets et le recyclage, la responsabilité élargie du producteur ou encore l’éco-conception.
Pour répondre aux défis de conformité, il revient aux directions achats de se tenir informées de l’ensemble des évolutions réglementaires. Les entreprises qui sont les plus avancées en la matière pourraient même anticiper ces exigences, et ainsi gagner un avantage compétitif clé.
Pour enclencher la transition circulaire, les directions achats doivent relever certains challenges. Toutefois, ce marché est en plein boom et les solutions devraient être de plus en plus faciles à actionner. Dans cette optique, il ne faut pas oublier que la fonction achats joue un rôle clé pour initier ce virage stratégique. En effet, ce sont les acheteurs qui challengent les besoins de leur entreprise, sélectionnent les fournisseurs et influencent ainsi le marché. Ils ont donc toutes les cartes en main pour favoriser le développement durable au sein de leur organisation et au-delà de ses murs.