À l’heure où la responsabilité sociétale devient un levier de performance, intégrer les achats solidaires à sa stratégie d’approvisionnement n’est plus une option mais une nécessité. Cette démarche s’inscrit dans une logique d’achats responsables et durables, en cohérence avec les attentes croissantes des parties prenantes. Mais comment définir un achat solidaire, en mesurer les bénéfices concrets et le mettre en œuvre efficacementâ¯? Éclairage complet.
Qu’est-ce qu’un achat solidaire ? Comprendre les fondamentaux
Avant de transformer sa stratégie d’approvisionnement, il est essentiel de comprendre précisément ce qu’implique un achat solidaire. Cette démarche repose sur des principes bien définis, à la fois réglementaires, économiques et sociétaux.
Définition des achats solidaires et champ d’application
L’achat solidaire fait partie intégrante des achats responsables. Il s’agit d’un acte d’achat qui intègre, au-delà du critère de performance économique, une volonté affirmée de générer un impact social ou environnemental positif. Concrètement, cela signifie privilégier des fournisseurs issus de l’économie sociale et solidaire (ESS), tels que les entreprises adaptées, les ESAT (Établissements ou Services d’Aide par le Travail) ou encore les structures d’insertion par l’activité économique.
Il convient de distinguer l’achat solidaire de l’achat responsable. Si les deux relèvent d’une démarche éthique, le premier se concentre spécifiquement sur la solidarité sociale, tandis que le second englobe également les enjeux environnementaux, éthiques ou économiques. Dans ce cadre, l’achat solidaire peut aussi viser à concilier efficacité économique et utilité sociale, en s’inscrivant pleinement dans les logiques de consommation responsable.
Cette approche permet aux entreprises d’agir concrètement pour l’inclusion et la cohésion sociale, tout en répondant à leurs besoins opérationnels. Elle offre également une réponse aux attentes croissantes des parties prenantes — clients, collaborateurs, partenaires — en matière de responsabilité sociétale.
Le cadre réglementaire et les obligations légales
L’essor des achats solidaires s’appuie également sur un cadre légal favorable. En France, plusieurs dispositifs encouragent cette pratique, à commencer par la loi Pacte, qui intègre la raison d’être et la mission sociale des entreprises dans le droit français. De leur côté, la loi EGAlim ou la loi sur l’économie circulaire imposent des quotas ou des incitations pour favoriser les achats issus de l’ESS dans la commande publique.
À l’échelle européenne, des cadres similaires soutiennent ces dynamiques. La directive européenne 2014/24/UE sur la passation des marchés publics permet d’introduire des clauses sociales et environnementales dans les appels d’offres, offrant ainsi un levier aux acteurs engagés. Des pays comme l’Italie, avec sa loi sur les coopératives sociales (L.381/91), ou l’Espagne, avec la Ley de Contratos del Sector Público, imposent également des mesures spécifiques pour inclure les entreprises sociales dans les marchés publics. Enfin, le Règlement européen sur l’économie sociale, adopté en 2023, vise à harmoniser les approches nationales et à renforcer la reconnaissance de l’ESS dans les politiques économiques de l’Union.
Et justement, les clauses sociales dans les appels d’offres publics ou privés deviennent de plus en plus fréquentes. Comme le souligne Antoine Compin, Directeur Général de Manutan France[1] :
« Dans les appels d'offres, les critères en lien avec la RSE et la stratégie de chacun des fournisseurs sont de plus en plus importants dans la note finale. C’est la preuve que nos clients attendent de plus en plus que leurs partenaires inscrivent dans leur stratégie quelque chose qui correspond à leurs obligations. »
L’achat solidaire, loin d’être une contrainte, devient alors un véritable levier de performance durable, en phase avec les attentes du marché et la réglementation. Pour les organisations, intégrer ces pratiques dès aujourd’hui, c’est anticiper les exigences de demain.
Pourquoi intégrer les achats solidaires dans votre stratégie d’approvisionnement ?
Au-delà des obligations réglementaires, les achats solidaires représentent un levier de transformation pour les entreprises. Leur intégration dans une politique d’achats responsables peut générer des bénéfices durables et concrets.
Avantages économiques, sociaux et d’image
Intégrer des achats solidaires dans sa stratégie permet tout d’abord d’aligner performance économique et utilité sociale. Contrairement aux idées reçues, un achat solidaire n’est pas synonyme de surcoût ou de complexité. Il peut s’agir de prestations courantes (nettoyage, logistique, mobilier) réalisées par des structures de l’économie sociale et solidaire, souvent agiles, compétitives et ancrées localement.
Le recours à ces fournisseurs engagés contribue à la réduction de l’empreinte carbone, au développement de l’emploi inclusif et à la dynamisation des territoires. De plus, les achats responsables et, en particulier, les achats solidaires valorisent l’image de l’entreprise auprès de ses parties prenantes : clients, collaborateurs, investisseurs.
Ce positionnement éthique devient un marqueur fort de la marque employeur, notamment dans un contexte de guerre des talents et de quête de sens au travail.
Comme le souligne Pierre-Olivier Brial, Directeur Général Délégué de Manutan[2] :
« Il faut placer les enjeux de responsabilité environnementale et sociale au cœur du modèle économique. Pourquoi ? Parce que sinon, dès que la conjoncture devient défavorable, ce sont les premiers sujets que l'on abandonne. Il ne faut pas les considérer comme périphériques, mais au contraire les intégrer progressivement au centre du modèle. »
Un levier de différenciation dans les marchés
Les achats solidaires s’imposent également comme un facteur de différenciation concurrentielle. Dans les marchés publics comme privés, les appels d’offres intègrent désormais des critères RSE qui pèsent significativement dans les grilles d’évaluation.
Les entreprises capables de démontrer un engagement réel dans leur stratégie d’achats responsables ont ainsi un avantage compétitif, notamment sur les segments sensibles à l’impact environnemental et social.
Faire des achats solidaires un pilier de votre stratégie, c’est donc allier sens, performance et compétitivité.
Mettre en œuvre une politique d’achats solidaires : bonnes pratiques et retours d’expérience
La mise en place d’une stratégie d’achats solidaires ne s’improvise pas. Elle repose sur une vision claire, une structuration progressive et l’engagement de l’ensemble de l’organisation.
Élaborer une stratégie cohérente avec votre politique RSE
Pour intégrer les achats solidaires de manière durable, la première étape consiste à les inscrire pleinement dans la stratégie RSE de l’entreprise. Cela passe par une cartographie des besoins internes : quels types d’achats peuvent être confiés à des structures de l’économie sociale et solidaireâ¯? Quels volumes et fréquences sont envisageablesâ¯?
Parallèlement, il est essentiel d’identifier les fournisseurs potentiels parmi les entreprises adaptées, ESAT, coopératives ou associations d’insertion. L’implication des parties prenantes internes — responsables achats, direction RSE, services opérationnels — est clé pour créer une dynamique collective et durable. Cette démarche donne du sens à la politique d’achats responsables, tout en favorisant la transversalité.
S’appuyer sur des partenariats structurés et durables
La réussite des achats solidaires repose également sur la qualité des partenariats noués avec les structures de l’ESS. Il ne s’agit pas d’acheter ponctuellement, mais de développer des relations solides et mutuellement bénéfiques.
L’intégration de clauses sociales dans les contrats permet de cadrer les engagements et de formaliser les attentes. De même, la mise en place d’indicateurs de suivi — volumes d’achats, nombre de personnes en insertion mobilisées, retours qualitatifs — facilite l’évaluation de l’impact généré. Cette professionnalisation des pratiques renforce la crédibilité des actions mises en œuvre.
Exemples concrets chez Manutan et ailleurs
Chez Manutan, l’approche est concrète et exemplaire. Comme l’explique Pierre-Olivier Brial, le Directeur Général Délégué de Manutan[3] :
« Nous avons mis en place des offres d'économie circulaire : lorsqu’un client souhaite acheter du mobilier neuf, nous lui proposons de récupérer son ancien mobilier via des structures d’insertion. Ce mobilier est ensuite reconditionné et revendu dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. Ce modèle nous permet de remporter des appels d’offres. C’est très concret. »
Ce mobilier est ensuite reconditionné et remis sur le marché via des circuits solidaires. Ce modèle permet de répondre aux besoins des clients, mais aussi de remporter des appels d’offres en lien avec les achats responsables.
D’autres entreprises ont adopté des démarches similaires, en intégrant des structures de l’ESS dans leur chaîne de valeur, prouvant que chaque achat solidaire peut devenir un vecteur de performance globale.
Ainsi, une entreprise spécialisée dans les fournitures de bureau éco-responsables a noué un partenariat avec un atelier d’insertion locale pour la fabrication de cartouches d’encre recyclées. En collectant les anciennes cartouches auprès de ses clients, l’entreprise les confie à cet atelier, où elles sont triées, nettoyées, remplies et reconditionnées selon des normes strictes.
Ce dispositif permet de réduire les déchets, mais aussi de créer de l’emploi local et d’inscrire les achats dans une logique d’économie circulaire. Grâce à cette démarche, cette entreprise a pu accéder à de nouveaux marchés publics intégrant des critères RSE exigeants.
Ainsi, intégrer les achats solidaires dans sa stratégie d’approvisionnement, c’est transformer chaque acte d’achat en levier d’impact positifâ¯; plus qu’un engagement sociétal, c’est un véritable atout de compétitivité et de durabilité.
[1] Antoine COMPIN (Directeur Général, Manutan France), Le débat, SMART @WORK, 20 mai 2023, 23 min, B-Smart, [https://www.bsmart.fr/video/20057-smart-work-partie-20-mai-2023]
[2] Pierre-Olivier BRIAL (Directeur Général Délégué, Manutan), Le débat, SMART @WORK, 10 juillet 2021, 21 min, B-Smart, [https://www.bsmart.fr/video/7574-smart-work-partie-10-juillet-2021]
[3] Pierre-Olivier BRIAL (Directeur Général Délégué, Manutan), Le débat, SMART @WORK, 13 février 2021, 29 min, B-Smart, [https://www.bsmart.fr/video/3709-smart-work-emission-13-fevrier-2021]