Depuis plusieurs années, le concept VUCA (Volatile, Uncertain, Complex, Ambiguous) dominait les discussions stratégiques dans les entreprises. Pourtant, face à l’accélération des crises, un nouveau cadre a émergé : BANI, un acronyme popularisé par le futuriste Jamais Cascio. Cet acronyme signifie Brittle (Fragile), Anxious (Anxieux), Non-linear (Non linéaire) et Incomprehensible (Incompréhensible).
Alors que VUCA soulignait l’incertitude, BANI va plus loin en mettant en avant la nature profondément instable et parfois incompréhensible des environnements dans lesquels les entreprises évoluent aujourd’hui.
Définition et contexte du concept BANI
BANI est un cadre d’analyse qui permet de mieux comprendre et anticiper les nouveaux risques auxquels sont confrontées les organisations. Il remplace progressivement le modèle VUCA, jugé moins pertinent face à la nature des crises actuelles. Chaque lettre porte une signification précise :
- Brittle (Fragile) : les systèmes, bien que solides en apparence, peuvent s'effondrer brutalement face à des perturbations imprévues ;
- Anxious (Anxieux) : l'incertitude constante génère de l'anxiété, affectant la prise de décision et la performance des équipes ;
- Non-linear (Non Linéaire) : les événements ne suivent plus une progression logique ; de petits changements peuvent avoir des conséquences disproportionnées ;
- Incomprehensible (Incompréhensible) : la complexité croissante rend certaines situations difficiles à comprendre et à anticiper.
Ce cadre conceptuel offre une grille de lecture plus adaptée aux défis contemporains que le modèle VUCA.
Les impacts du monde BANI sur la stratégie d’entreprise
Évoluer dans un monde BANI nécessite d’adapter en profondeur les décisions stratégiques. Voici quelques impacts majeurs :
- Prise de décision : l’incertitude extrême impose de basculer la table des approches classiques, et d’adopter des processus plus agiles, capables de réagir en temps réel. Les dirigeants doivent se préparer à l’inattendu et éviter de parier uniquement sur des plans à long terme ;
- Gestion des risques : les fragilités systémiques exigent un suivi constant. Un exemple parlant est celui des chaînes d’approvisionnement : un petit défaut chez un fournisseur unique peut entraîner une rupture totale. Rationaliser ses fournisseurs devient alors une priorité, en diversifiant les sources et en renforçant les partenariats stratégiques ;
- Résilience organisationnelle : les entreprises doivent pouvoir encaisser les chocs, qu’ils soient sanitaires, géopolitiques ou économiques. Cela nécessite de mettre en place un code de conduite clair, des plans de continuité d’activité robustes, et d’intégrer la résilience à tous les niveaux de l’organisation.
Encadré : « Il faut que toute l’entreprise soit engagée. Ce qui compte, c’est de comprendre qu’il s’agit d’un véritable changement systémique – à tous les niveaux : du côté des dirigeants, des entreprises, mais aussi des consommateurs. C’est bien cette transformation globale qui est essentielle. » - Camille, COLBUS (Cofondatrice, Dero)[1]
Stratégies et outils pour renforcer la résilience et l’agilité dans un environnement BANI
Face à la fragilité et à l’imprévisibilité, les entreprises doivent se doter de nouvelles stratégies et d’outils innovants pour sécuriser leur activité et gagner en agilité.
Technologies digitales : le socle de l’adaptabilité
La digitalisation n’est plus une option ; c’est un prérequis pour survivre dans un environnement fragile et anxieux. Voici les principales solutions à mettre en place :
- Suivi en temps réel : utiliser des plateformes capables d’assurer le suivi des pages clés, des contrats fournisseurs, des stocks, et même des signaux faibles sur les marchés. Cela permet de détecter les anomalies dès qu’elles apparaissent et de réagir avant qu’elles ne se transforment en crise majeure. Exemple : mettre en place des alertes automatiques sur les variations de prix critiques ou les délais de livraison ;
- Obtention et gestion des URL stratégiques : les outils permettant d’obtenir l’URL de chaque élément (document, page de suivi, tableau de bord) facilitent la traçabilité et la réactivité. Ainsi, les décideurs accèdent rapidement aux informations pertinentes sans perdre de temps à chercher les sources ;
- Téléverser un fichier, télécharger le code, créer un livre : il est essentiel de centraliser la documentation stratégique. Par exemple, regrouper les procédures critiques, les bonnes pratiques, et les checklists sous forme de fichier à téléverser ou même de livre interne pour capitaliser sur l’expérience collective. Ces supports peuvent être facilement mis à jour et partagés entre les équipes.
Rationalisation fournisseurs : réduire la fragilité
La diversité des fournisseurs peut sembler synonyme de sécurité, mais dans un monde non linéaire, trop de partenaires sans hiérarchisation ajoutent de la complexité et fragilisent l’ensemble. Voici les étapes pour rationaliser votre portefeuille fournisseurs :
- Identifier les partenaires stratégiques : tous les fournisseurs ne se valent pas. Il est crucial de cartographier les dépendances, d’évaluer les apports critiques, et de prioriser ceux qui apportent une réelle valeur ;
- Réduire les dépendances : en évitant les mono-dépendances (un seul fournisseur critique), on limite le risque de rupture brutale. Diversifier, oui, mais intelligemment ;
- Collaborer étroitement : dans une logique BANI, le lien avec les fournisseurs doit dépasser la simple transaction. Il s’agit d’instaurer un code de conduite partagé, de co-construire des solutions, et d’échanger en continu sur les signaux faibles observés.
Automatisation : basculer la table des priorités
Dans un contexte incompréhensible, il est indispensable de libérer les équipes des tâches répétitives et à faible valeur ajoutée pour qu’elles puissent se concentrer sur l’analyse et l’innovation :
- Automatiser les opérations critiques : par exemple, automatiser la gestion des stocks, les prévisions de demande, ou encore la génération des rapports stratégiques. Cela permet de basculer la table des priorités en réduisant les délais de prise de décision ;
- Alertes intelligentes : mettre en place des systèmes d’alerte basés sur des seuils personnalisés et sur l’analyse de données non linéaires. Cela réduit l’anxiété liée à la surveillance manuelle et augmente la réactivité ;
- Flexibilité contractuelle : adapter les contrats fournisseurs pour inclure des clauses d’ajustement rapide en cas d’imprévu (par exemple, clauses de volume, délais, ou prix dynamiques).
Outils de documentation et de partage des connaissances
Pour que l’organisation entière soit alignée, il faut des outils qui permettent à chacun d’accéder à l’information stratégique :
- Télécharger comme PDF les rapports clés, pour permettre une diffusion facile au sein des équipes ;
- Citer des pages dans les documents de reporting ou de veille pour garantir une traçabilité et éviter les pertes d’informations ;
- Ajouter un sujet dans les espaces collaboratifs pour lancer une réflexion collective sur les signaux faibles ou les tendances émergentes ;
- Faire un don : oui, même cette action a un rôle dans certains contextes stratégiques ! Par exemple, soutenir des initiatives locales ou des fournisseurs innovants peut renforcer des liens essentiels et positionner l’entreprise comme un acteur engagé.
Solutions MediaWiki et gestion de l’historique
Dans un environnement où les causes et effets sont flous, il est indispensable de conserver une mémoire collective. Les entreprises peuvent utiliser des outils comme MediaWiki pour :
- Voir l’historique des décisions et des actions stratégiques, pour comprendre ce qui a fonctionné ou non ;
- Vers la barre de navigation des projets : créer des raccourcis internes pour accéder rapidement aux pages clés ;
- Téléverser un fichier ou télécharger le code des applications développées en interne, afin de garantir une continuité en cas de changement d’équipe ou de prestataire.
Cas pratique : transformer la gestion des achats face à la complexité BANI
Face à un contexte BANI, la gestion des achats doit être totalement repensée pour répondre à l’extrême volatilité et à la complexité croissante des marchés. Prenons l’exemple d’une entreprise industrielle confrontée à la pénurie mondiale de composants électroniques. Face à la fragilité de ses chaînes d’approvisionnement, elle a choisi de digitaliser l’ensemble de son processus achats, en mettant en place une plateforme collaborative centralisant les données fournisseurs, les commandes et les contrats. Cette digitalisation a permis d’automatiser les tâches répétitives, d’améliorer la visibilité sur les stocks et d’anticiper les ruptures grâce à l’analyse prédictive.
Parallèlement, l’entreprise a rationalisé son panel fournisseurs, en privilégiant des partenaires stratégiques fiables tout en diversifiant ses sources pour chaque composant critique. Elle a également instauré une évaluation continue de la performance et des risques, grâce à des audits réguliers et des indicateurs de suivi. Pour limiter la dépendance aux chaînes logistiques internationales, une partie de la production a été relocalisée en France, renforçant ainsi la maîtrise de la chaîne de valeur.
Enfin, l’entreprise a négocié des contrats flexibles, incluant des clauses de révision automatique en cas de force majeure, afin de sécuriser ses approvisionnements tout en restant agile face aux fluctuations du marché. Grâce à cette stratégie globale, l’entreprise a pu maintenir la continuité de sa production, réduire ses coûts et renforcer sa résilience.
Recommandations et bonnes pratiques pour évoluer stratégiquement
Pour réussir dans un monde BANI, il ne suffit pas d’adopter de nouveaux outils : il faut aussi transformer la culture d’entreprise et impliquer l’ensemble des parties prenantes. Les entreprises doivent :
- Favoriser une culture d'adaptabilité : encourager l'innovation et la flexibilité au sein des équipes ;
- Investir dans la formation : développer les compétences des collaborateurs pour mieux gérer l'incertitude ;
- Renforcer la collaboration : établir des partenariats solides avec les fournisseurs et les parties prenantes ;
- Utiliser des outils technologiques avancés : intégrer des solutions digitales pour améliorer l'efficacité et la résilience des opérations.
L'environnement BANI impose aux entreprises de repenser leurs stratégies et de développer une capacité d'adaptation accrue. En adoptant des approches innovantes, en renforçant la collaboration et en investissant dans la digitalisation, les entreprises peuvent non seulement survivre mais prospérer dans ce contexte complexe et incertain.
[1] Camille, COLBUS (Cofondatrice, Dero), Le débat, SMART @WORK, 13 juillet 2024, 28 min, B-Smart, [https://www.bsmart.fr/video/24934-smart-work-13-juillet-2024]