Comment le nearshoring sécurise et dynamise la supply chain ?

Ces dernières années semblent amorcer un nouveau cycle de mondialisation. La coopération internationale est désormais fragilisée par les tensions géopolitiques. Cela ouvre la voie à une mondialisation « à géométrie variable » comme le disent les experts de McKinsey & Company. Les acteurs économiques commencent ainsi à reconfigurer leurs échanges avec des rapprochements géopolitiques ou géographiques. C’est dans ce contexte que se développe le nearshoring au sein des organisations mondiales.

De l’offshoring au nearshoring

Pendant des années, les entreprises ont déplacé ou externalisé leurs activités de production ou d’approvisionnement à des milliers de kilomètres. Ces stratégies de délocalisation, communément appelée offshoring, étaient généralement motivées par une logique de réduction des coûts et de rentabilité. C’est pourquoi cela se catalysait dans les pays dont les coûts de main-d’œuvre et les prix des matériaux étaient moins élevés comme en Chine, en Inde ou encore au Brésil.

Toutefois, cette stratégie présente aussi ses limites : coûts cachés, amplification des risques, gestion de la qualité, impact écologique, différences culturelles… Plus récemment, de multiples crises ont secoué la chaîne d’approvisionnement et poussé les entreprises à revoir leur copie.

Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser, en faveur d’une approche plus régionalisée. Nombre d’organisations repensent leurs chaînes de valeur pour rapprocher leurs activités vers un pays proche. Côté achats, cela se matérialise à travers le développement des stratégies de double sourcing, avec une part plus importante de sources locales.

C’est ce qu’on appelle, plus généralement, le nearshoring. Cette démarche consiste à transférer ses opérations, ses services ou encore ses processus dans des pays proches géographiquement. Il s’agit souvent de revenir sur son continent d’origine et/ou de se rapprocher des pays voisins ou adjacents. Cette démarche vise à réduire son exposition aux risques, se rapprocher de ses marchés et ainsi renforcer la résilience de sa chaîne d’approvisionnement. D’après le dernier baromètre des risques supply chain réalisé par Kyu, 43 % des entreprises envisagent de relocaliser leur sourcing à proximité de la production.

Le nearshoring, face aux enjeux de la supply chain

Dans un monde de plus en plus fragmenté, les échanges commerciaux se reconfigurent. Gita Gopinath, Directrice Générale Adjointe du FMI[1], explique : « Les liens économiques mondiaux évoluent d’une manière que nous n’avons pas vue depuis la fin de la guerre froide… Après des années de chocs, notamment la pandémie de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays réévaluent leurs partenaires commerciaux en fonction de préoccupations économiques et de sécurité nationale. »

Ce phénomène est exacerbé par l’inflation généralisée, la montée des politiques plus protectionnistes ainsi que de nouvelles intégrations commerciales. On l’observe par exemple à travers l’envolée des restrictions commerciales ou la hausse des droits de douane. Autant de facteurs qui risquent de faire repartir les coûts de production et de matières premières à la hausse pour certains secteurs.

À cela s’ajoutent les défaillances d’entreprises qui, selon Allianz Trade, a augmenté dans quatre pays sur cinq, dont la plupart enregistrant une hausse à deux chiffres. « L’Amérique du Nord et l’Asie ont toutes deux significativement contribué à la hausse des défaillances au plan mondial, avec l’Europe occidentale qui est restée un contributeur clé malgré une hausse plus modérée. Au final, 474 grandes entreprises ont fait faillite dans le monde l’année dernière, un chiffre record sur la décennie écoulée qui rappelle l’importance pour les entreprises de surveiller de près le risque d’effets domino sur les fournisseurs et les sous-traitants » explique Maxime Lemerle, Responsable des recherches défaillances chez Allianz Trade[2].

Aussi, les défaillances logistiques ont perturbé les supply chains mondiales. En mer, les durées des expéditions se sont vues allongées en moyenne de 14 jours de l’Asie vers l’Europe sur l’année précédente. Cela s’est répercuté sur les coûts de carburant, les salaires, les assurances, les émissions de gaz à effet de serre… Il faut également citer les mouvements sociaux dans les ports américains et européens, ainsi la pénurie de main-d’œuvre dans le transport routier, qui perturbent les flux de marchandises.

Dans ce contexte où règne l’incertitude, le nearshoring apparaît alors comme une solution pour recalibrer et consolider sa chaîne d’approvisionnement. C’est ce que souligne Richard Howells, Vice-président de la gestion des solutions ERP, finance et supply chain digitale pour SAP[3] : « Pour les chefs d’entreprise qui anticipent les effets des tarifs douaniers et des guerres commerciales, des conflits en Europe de l’Est et au Moyen-Orient, des fermetures d’usines, des ports engorgés et de la volatilité de la demande, l’attrait du nearshoring et du onshoring s’est cristallisé[CB1] . »

Le nearshoring pour renforcer la supply chain

Tout d’abord, le nearshoring permet de raccourcir les chaînes d’approvisionnement. Parce que les distances sont réduites, les livraisons sont plus rapides, moins coûteuses et ont un moindre impact environnemental. Cela permet aussi et surtout aux entreprises de mieux contrôler leurs chaînes d’approvisionnement, et ainsi de les rendre plus résilientes.

Cette proximité géographique et culturelle facilite aussi la communication. Souvent, les fuseaux horaires sont similaires ou identiques. Cela fluidifie les échanges et booste la réactivité des différents acteurs. De plus, les réglementations en matière de travail et de commerce sont souvent proches dans les pays voisins.

Le nearshoring est d’autant plus bénéfique lorsque des accords commerciaux sont conclus avec les pays voisins. C’est la promesse de moindres barrières commerciales, de procédures simplifiées, de réglementations harmonisées… Autant d’avantages qui participent à améliorer et sécuriser la chaîne logistique.

Douglas Gill, responsable des ventes export du groupe Manutan, ajoute : « Dès lors, les entreprises ont tout intérêt à nouer des partenariats avec des fournisseurs clés, implantés localement dans ces zones stratégiques. Cette présence facilite l’alignement entre les spécificités locales et les standards du groupe. En plus de renforcer leur compétitivité, cela leur permet de mieux gérer les risques liés aux perturbations de la supply chain et aux tensions géopolitiques. » 

Dans un contexte mondial marqué par l’incertitude, les tensions géopolitiques et les perturbations logistiques, le nearshoring s’impose comme une solution efficace pour sécuriser et dynamiser la chaîne d’approvisionnement, malgré les potentielles crises à venir. Cette stratégie allie simplicité opérationnelle et rentabilité, ce qui ouvre la voie à une supply chain robuste, agile et durable.